Carnet de voyages

Je suis quelqu’un de casanier. Voyager n’est pas ma tasse de thé. Je me conforme aux envies de vacances des autres, ne choisissant pas mes destinations mais acceptant de jouer les touristes, trimbalant avec moi mon appareil photo à la recherche de clichés que j’espère inoubliables et qui s’effacent pourtant. Plutôt que de raviver mes souvenirs en les regardant régulièrement, je consacre mon temps à multiplier les prises de vue.

Quand on dessine huit heures par jour et qu’arrivent les congés, la logique veut qu’on s’arrête. Pour cette raison, j’ai longtemps délaissé mon crayon et préféré la photographie au carnet de voyage.

C’est en découvrant « Le pavé de Paris » d’Emmanuel Guibert, un livre réunissant des croquis de la ville et des anecdotes glanées pendant l’exécution des dessins, que je réalise la valeur ajouté du carnet de voyage. Dans son périple, Emmanuel Guibert s’offre une manne de souvenirs, souvenirs dissociés de son travail graphique, souvenirs inattendus à côté desquels il serait passé s’il avait préféré la photographie au dessin.

L’erreur est d’associer la notion de voyage à celle du déplacement. Le mot doit être pris au sens large du terme. Il n’est pas indispensable d’aller au bout du monde, le carnet peut se faire en bas de chez soi ; le sujet peut être banal, c’est sans importance. Ce qui l’est moins, c’est le temps consacré à l’observation. Il génère non seulement le souvenir du sujet, mais aussi tout ce qui ne sera pas dessiné et qui accompagne l’instant.

J’ai par exemple esquissé l’entrée d’une maison lors d’un voyage à Lisbonne. Je m’assieds à la terrasse d’un café. Deux frères servent les clients. Ils semblent être les propriétaires des lieux. Leur âge canonique laisse imaginer qu’ils ont dépassé depuis longtemps celui de la pension, mais que leur vie est là, que leur travail et leur vie ne font qu’un, que leur plaisir est de côtoyer leurs fidèles clients devenus des amis au fil du temps, et qu’ils ont peu d’intérêt pour les gens de passage, comme moi.

Un guide arrive, il escorte un groupe de touristes français, il les invite à entrer dans la boutique voisine, à acheter dieu sait quoi tout en leur vantant l’authenticité de la chose. Les touristes sortent enthousiastes, heureux de leurs achats.

Emmanuel Guibert constate, et c’est vrai, que celui qui dessine installe un climat de confiance ; son travail jouit d’un capital sympathie, on a envie de l’approcher, de découvrir ce qu’il griffonne.

Un des touristes regarde mon dessin, me dit qu’il aimerait beaucoup savoir dessiner. Son fils, lui, a du talent ! L’année prochaine, il veut l’inscrire dans une école d’art. Ils habitent Bordeaux, mais avant ils vivaient à Paris. Son fils serait bien resté, il y avait ses amis. Mais trop de bruit, trop de stress, il avait besoin de calme, il devait changer…

En regardant mon dessin, même si ce n’est inscrit nulle part, je me souviendrai de tout cela. Comme l’a compris Emmanuel Guibert, un carnet de voyage, c’est bien plus qu’une accumulation de dessins, c’est un livre d’histoires, sans grand H mais avec un petit s.


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