Travailler, c’est trop dur

Tous les enfants dessinent, je n’ai pas été différent des autres. 

En grandissant, la plupart de mes camarades ont délaissé ce plaisir pour d’autres activités, bien plus sérieuses. Les études sont chronophages et il est vrai qu’aucun professeur n’encourage la pratique du dessin. Le Graal, c’est le diplôme ! Il est la condition sine qua non pour acquérir un statut professionnel. Sur le chemin, il n’y pas de temps à perdre et encore moins à dessiner.

Cette passion du dessin qui m’anime depuis toujours, et qui est restée mienne contre vents et marées, a certainement dû désespérer mes parents. Tel Dumbo se cramponnant à sa plume, je grandissais sans jamais me séparer de mon crayon.

Certaines conversations me faisaient entrevoir par bribes ce monde du travail qui allait bientôt m’intégrer. Avec mon imagination d’enfant, je visualisais la reine des abeilles et ses ouvrières s’activant dans la ruche. Les discussions allaient bon train autour du pot de miel. J’entendais qu’il fallait travailler pour payer les factures, que la direction souhaitait améliorer l’efficacité, que la rentabilité n’était pas suffisante, que la viabilité de l’entreprise était mise à mal, que Monsieur Boulier était un con et que tout était de sa faute, que les derniers arrivés allaient être licenciés, que les syndicats ne faisaient rien, et que, et que… c’était (oui déjà) la crise !!! Futur maillon de cette sphère économique, j’observais ces adultes et je me projetais, évaluant les spectres de toutes les possibilités qui s’offraient à moi. 

Sept ans, c’est l’âge où on apprend à écrire. Je me souviens… Ma mère avait protégé d’une couverture plastifiée mon premier cahier de rédaction et le sujet qui allait l’inaugurer est encore gravé dans ma mémoire : « Mon futur métier ». Soucieux de la notion de plaisir que le dessin me procurait et conscient de sa rareté chez les travailleurs, j’ai pris la mesure de ce qu’impliquait la pertinence de mon choix. J’ai écrit avec une certitude qui fait encore ma fierté aujourd’hui : « Plus tard, je serai dessinateur ». 


Partagez sur :