C’est gravé

J’aime terminer mes journées dans les académies. j’en ai écumé beaucoup, alternant invariablement les ateliers de dessin, de bande dessinnée et de peinture.

La première dans laquelle je me suis inscrit était celle de Woluwé-Saint-Pierre. J’avais quinze ans. Trente-cinq ans plus tard, je décide de reintégrer les murs. La raison est bêtement géographique, c’est aujourd’hui la plus proche de mon domicile. Cette année, j’opte pour la peinture. Mes tubes se durcissent. Mon essence de térébenthine s’évapore. Mon huile de lin se dessèche. Mes toiles vierges s’entassent. Il est plus que temps de reprendre le collier ! Lors de l’inscription, le secrétariat m’informe que le jour où je souhaite venir ne me laisse comme choix que l’atelier de gravure. Ma palette attendra donc encore un peu avant que je n’y bariole de nouvelles couleurs.

Grande inconnue que la gravure : ma seule approche avait été un essai peu concluant à la pointe sèche. D’un autre côté, ma fille était revenue de son cours d’art avec un superbe monotype et je me souvenais avoir eu envie à l’époque d’en expérimenter la technique. Mon ami Claude m’a depuis fait découvrir ceux d’Edgard Degas et Yann Kebbi. En lino, je jalousais l’habilité de Salemi. Et l’expo de l’œuvre gravée de Rembrandt au palais des Beaux-Arts de Bruxelles m’avait ébloui. Autant d’arguments qui faisaient pencher  la balance positivement, avec en prime une question : n’était-ce point une bonne chose que de sortir de sa zone de confort et d’apprendre une nouvelle grammaire ?

À propos de langage, on pourrait rapprocher la gravure du palindrome. Lorsqu’on dessine sur le support, il faut penser en miroir, le passage par la presse aboutissant à un résultat inversé. 

Anne Dykmans, magicienne de la manière noire et professeure à l’académie, allait me prendre sous son aile et m’ouvrir les yeux sur les coulisses du métier. Je n’avais pas conscience de l’endroit où je mettais les pieds. La gravure est un vaste champ et il me faudrait au minimum dix vies pour en faire le tour. Les techniques sont mutiples, chaque practicien revendique des approches et des recettes différentes, les encres ont chacune leur spécificité, les outils sont nombreux, la chimie est un casse-tête ; sans parler de l’entrave du temps, chaque étape étant rythmée par un minutage souvent incompressible.

L’académie m’offrait la possibilité d’utiliser tout le matériel nécessaire, mais travailler en nombre dans un espace exigu et devoir attendre son tour pour accéder aux machines a eu raison de ma patience. J’ai donc cassé mon cochon, je me suis acheté une presse et tout ce qui va avec pour l’installer chez moi. Depuis, mon atelier de peinture est devenu un atelier de gravure. Tout cela parce que les jours où l’on donne cours de peinture à l’académie de ma commune ne me conviennent pas…


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